Je vous emmène en vadrouille ! Dans les Dentelles de Montmirail

Je vous emmène en vadrouille ! Dans les Dentelles de Montmirail

Ce 15 septembre 2019 est marqué par deux événements :

• Les deux ans de la création de La P’tite Vadrouille, le 15 septembre 2017. C’est le moment émotion de l’article ! Deux années riches en découvertes, en partenariats, en visites et bien sûr en rencontres. La première année fut laborieuse, la deuxième aussi mais plus fructueuse, la troisième s’annonce plutôt bien.
• L’ouverture des inscriptions pour la course de La Traversée des Dentelles, qui se déroulera le 15 décembre 2019.

À l’occasion de ces deux évènements, je vous propose un article sur les Dentelles de Montmirail, un massif qui permet de conjuguer sport, patrimoine, paysages & produits du terroir, bref tout ce qui me plaît pour ceux qui me connaissent !

Pour être honnête, c’est depuis juillet que je promets un article sur les Dentelles, que je n’ai pas le temps de m’y atteler puisque ces 3 derniers mois ont été très denses, et que je me faisais une montagne – c’est le cas de le dire ! – de ce sujet, et de la connaissance avisée de certains de mes lecteurs… Mais après pas mal de recherches voilà un article synthétique qui devrait vous donner un peu de quoi vous mettre sous la dent ! Pour les plus accros, rendez-vous en bas de l’article, à la bibliographie.

Présentation

Claude Jaccoux, ancien président du Syndicat national des guides de montagne, décrivait les Dentelles en ces termes : « Un massif, plutôt une île de pierre, qui, dès qu’elle est évoquée, surgit à l’esprit, levée au-dessus de la plaine douce. Chez nous, à Chamonix, lorsque l’on prononce le nom des Dentelles, une onde de plaisir complice nous parcourt, et le sourire naît. Peut-être sommes-nous sensibles au parfum du passé qui se dégage de toutes les chapelles et bastides qui entourent cet îlot de calcaire. Mais d‘une façon plus certaine nous le sommes aux noms des vignobles qui montent vers les parois, Gigondas, Vacqueyras, Beaumes-de-Venise. Avec en plus, bien sûr, les merveilleuses envolées des dalles de Gigondas et du Clapis. »

Ce massif vertigineux se dresse à l’est d’Orange, sur la rive gauche du Rhône, à la frontière entre l’ancienne Principauté d’Orange et le Comtat Venaissin.

Ses falaises qui ont donné leur nom de dentelles au massif, ce sont ces dalles calcaires finement ciselées, relevées à la verticale par un accident tectonique contemporain de la mise en place des Pyrénées. Et Montmirail ? C’est le terme dérivé de Mons Mirabilis, les monts visibles de loin.

Pour vous repérer, les Dentelles, ce sont 3 chaînes principales de falaises, du nord au sud, on a :

• Les 3 yeux, prolongés par la crête du Saint-Amand : la chaîne dite « de Gigondas »
• Les Dentelles sarrasines
• Le Grand Montmirail prolongé par le Clapis

C’est le paradis des grimpeurs, des randonneurs, des VTT et des coureurs. J’en profite pour fournir le lien de La Traversée des Dentelles, belle course nature à l’organisation de laquelle je donne un petit coup de main. N’hésitez pas à vous inscrire, une bouteille d’AOC Gigondas est à la clef pour chaque dossard.

http://www.traverseedesdentelles.fr/

Mais assez parlé de sport ! Avant de s’aventurer dans la géologie, le terroir et la viticulture, je vous propose un bref aperçu historique.

Historique

Le massif des Dentelles de Montmirail se trouvait à la frontière entre la Principauté d’Orange et le Comtat Venaissin.

La principauté d’Orange

Administrativement, le côté nord des Dentelles dépendait du comté d’Orange, fondé, selon la légende, par Guillaume au Court-Nez, nommé aussi Guillaume au Cornet. D’extraction royale, peut-être petit-fils de Charles Martel, Guillaume au Cornet, parfois assimilé à Guillaume d’Aquitaine, aurait remporté plusieurs victoires lors de rencontres avec les Maures. Sa bravoure et ses exploits furent récompensés par Charlemagne, son cousin selon certaines chansons de geste. L’empereur lui octroya à titre de fief le comté d’Orange, ville qu’il aurait assiégée et libérée du roi musulman Théobard en 793. Le comté comprenait le pays entourant la cité, dont l’emblème devint le petit cor, par jeu de mots probable entre court nez et cornet. Cette petite trompe, qui rappelle l’olifant de Roland, était l’attribut des chefs. On les retrouve sur les armes des communes dépendant d’Orange, dont Gigondas.

5 dynasties successives régnèrent sur le Comté, devenu Principauté au XIIe siècle :

• Les Adhémar
• Les Baux
• Les Chalon
• Les Nassau. Le titre de prince ou princesse d’Orange est encore porté par la maison Orange-Nassau, l’actuelle famille royale des Pays-Bas.
• Les Bourbon-Conti.

En 1713, la Principauté d’Orange est annexée définitivement par le Royaume de France.

Le Comtat Venaissin au sud

Côté sud des Dentelles, c’était le territoire du Comtat Venaissin, terre pontificale du XIIIè siècle jusqu’à la Révolution française. En 1791, le Comtat devient français.

À ce moment-là, ancienne Principauté d’Orange, Comtat Venaissin et Terres adjacentes de Provence deviennent le département de Vaucluse.

De ce côté-là du piémont des Dentelles, ce sont les villages de Lafare, de La Roque-Alric et de Beaumes-de-Venise. Le nom de ce dernier village fait d’ailleurs référence au Venaissin.

C’est amusant de voir que les Dentelles ont servi de frontière historique à une certaine période, pendant plusieurs siècles, mais aussi naturelle puisque les terroirs et la flore ne sont pas les mêmes entre le nord et le sud. On n’y produit d’ailleurs pas les mêmes vins, comme nous le verrons un peu plus loin…

Géologie

Les Dentelles de Montmirail sont le fruit de 2 évènements géologiques : la poussée pyrénéo-provençale au moment de la formation des Pyrénées, et la remise en mouvement de la faille de Nîmes.

Formation des Dentelles

• Les grandes barres calcaires caractéristiques des falaises des Dentelles datent de la fin du jurassique, c’est-à-dire qu’elles ont environ 150 millions d’années.
• Il y a 230 millions d’années, la mer présente dans le bassin du sud de la France s’assèche et une épaisseur de 800 m d’alternance de calcaire, de sel et de gypse (matériau utilisé pour faire le plâtre) s’accumule. Un petit peu d’argile très colorée venue du Massif Central s’immisce aussi de temps en temps dans cette accumulation.
• Puis il y environ 230 millions d’années, plusieurs kilomètres d’alternance de calcaires et de marnes se met en place. Et ce jusqu’à il y a 65 millions d’années.

Si on fait le compte de toute cette pile sédimentée, elle représente 8 km d’épaisseur.

• Il y a 40 millions d’années, ça bouge énormément dans le Sud, puisque les Pyrénées commencent à se mettre en place. Cela induit alors la poussée pyrénéo-provençale, qui entraîne une déformation intense de toute la région de Marseille et d’Aix. Cela se traduit par des plis dont l’axe est-ouest se retrouve partout : Luberon, Alpilles, Ventoux-Lure, etc.
• Mais cet effet de glissement est encore relativement superficiel. Ce qui va changer la donne, c’est la combinaison de la poussée pyrénéo-provençale avec la remise en activité d’une grande fracture, la faille de Nîmes. Inerte depuis plusieurs millions d’années, la faille de Nîmes est dite « crustale », c’est-à-dire qu’elle cisaille la totalité des 8 km de sédimentation de la Catalogne au Dauphiné, en passant par Châteauneuf-du-Pape et exactement au milieu des Dentelles.

Dans les Dentelles, pour expliquer la formation du massif, on emploie souvent la même image, que je tiens moi-même de l’œnogéologue Georges Truc : il s’agit de l’image du millefeuille.

Imaginez un millefeuille, avec un empilement de plusieurs couches de pâte feuilletée et de garniture. Avec en bas, une crème pâtissière classique. Les marnes et les calcaires, ce sont les différentes couches de feuilleté. Le sel et le gypse, ce sont la crème pâtissière. Car le sel et le gypse, soumis à forte pression, sont des matériaux qui changent de structure et qui deviennent visqueux, contrairement à un calcaire par exemple, qui va rester dur.

Imaginez donc un feuilleté, avec une crème pâtissière tout en bas. Vous appuyez des deux côtés, vous contraignez les bords : la crème remonte. C’est ce qui s’est passé dans les Dentelles ! Le sel et le gypse sont remontés le long de la faille de Nîmes.

Cette remontée de sel et gypse engendre alors des déformations. À Lafare et à Suzette, on peut observer des affleurements du trias (roche fauve, jaune, beige, voire violine), qui devrait se trouver à 8 km de profondeur.

Ce trias s’est donc fait complètement éjecter, mais au passage, la grande dalle calcaire du jurassique s’est redressée à la verticale. Cette verticalisation du calcaire prend des millions d’années et est responsable des reliefs actuels du massif.

Les vallées de Lafare et de Suzette correspondent à l’érosion qui va s’opérer ensuite sur les affleurements du trias.

Du vin et… de l’eau !

La géologie des Dentelles est à l’origine d’un terroir varié qui donne des vins différents. Le vin c’est bien, mais pour déguster, il faut d’abord vous mettre l’eau à la bouche !

Et l’eau ce n’est pas ce qui manque justement dans les Dentelles. Pendant la visite de Gigondas et des Dentelles que j’ai effectuée le 30 août pour Pierre Amadieu, un visiteur demandait l’explication du caractère très verdoyant du pied des Dentelles, côté Gigondas, en pleine période de sécheresse.

Deux raisons : la première, c’est que nous nous trouvons au nord du massif, et donc soumis à un climat un peu plus frais qu’ailleurs dans le département : le mistral et les ombres portées des falaises en sont les conséquences.

La seconde, c’est que le massif donne naissance à de nombreuses sources.

Une grande partie du village, encore aujourd’hui, est d’ailleurs alimentée par l’eau de la source des Florets, située à 2 km au cœur des Dentelles de Montmirail.

C’est cette source qui fut exploitée par la famille Roux qui créa un établissement thermal entre Gigondas et le col du Cayron en 1870 : l’auberge des Florets. Les curistes venaient de la gare d’Orange en calèche. L’auberge fut fermée en 1950 et rouverte une décennie plus tard, sans thermes.

Mais le lieu principal du thermalisme dans les Dentelles se trouvait à Montmirail, entre les villages de Vacqueyras et de Gigondas. Dès la fin du XVIIIe siècle, on reconnaît les vertus curatives de ces eaux minérales. Les thermes de Montmirail connaissent leur heure de gloire du 2^nd Empire à la 2^nde Guerre Mondiale. En 1856, un médecin fait un rapport à l’Académie de médecine indiquant que les eaux de Montmirail sont purgatives, notamment pour guérir les maladies de l’intestin. En 1859, Napoléon III autorise leur exploitation.

La station thermale exploite 3 sources distinctes :

• L’eau verte : c’est une eau purgative qui soigne les troubles de la digestion. La source se situe à Souiras.
• L’eau sulfureuse utilisée pour les maladies de peau et les rhumatismes.
• L’eau ferrugineuse, dont la source se situe aux thermes, qui avait la vertu de soigner l’anémie et le diabète.

L’eau purgative de Montmirail fit l’objet d’une commercialisation en bouteilles. L’étiquette précisait : « laxative : un verre à Bordeaux à jeun ; purgative : un verre ordinaire à jeun ». Les curistes venaient de la gare de Sarrians-Montmirail.

Puis, on y développa un véritable complexe hôtelier, comprenant même un casino. En 1939, le thermalisme fut laissé à l’abandon.

Terroir & viticulture

Les cultures

La géologie des Dentelles est comme une mosaïque de terroirs qui permet aux agriculteurs d’installer plusieurs types de cultures.

Sur le flanc sud, les anciens avaient aménagé des restanques, terrasses soutenues par des murets de pierre sèche. Sur ces restanques, des oliveraies en nombre, qui à compter du XVIIIe siècle, ont peu à peu été supplantées par la vigne. Dans ces murets de pierre sèche, il était de coutume de nicher des plants de muscat, à usage personnel, pour avoir une petite production complémentaire. Ces muscadières de muscat à petits grains noirs sont les marqueurs d’un climat chaud, ensoleillé, méditerranéen.

Mais le reste des terrains, que ce soit au nord ou au sud du massif, est désormais largement occupé par la vigne.

Le terroir et les vins

4 types de terroirs semblent se distinguer autour des Dentelles :

• Les terrasses alluvionnaires de l’Ouvèze. Par divagation au moment d’épisodes de crues majeures, le lit de l’Ouvèze s’est élargi. Là où nous voyons aujourd’hui des rivières encaissées puisque nous sommes dans un optimum chaud, autrefois leur lit était beaucoup plus vaste. Ces rivières, ici l’Ouvèze, charriaient donc des quantités importantes de matériaux. Au pied de Gigondas, et à Vacqueyras, l’Ouvèze charriait, depuis les Baronnies, des quantités importantes d’alluvions. C’est ce qui donne ce terrain de galets roulés associés à une matrice sablo-argileuse de teinte brune.

• Le cône de la Font des Papes à Gigondas

Au-dessus des terrasses de l’Ouvèze, se trouve un panneau incliné, au niveau de Gigondas : il est le fait d’un petit ruisseau qui passe au nord du village. C’est la vallée qui permet d’aller au col du Cayron, le nom du ruisseau : la Font des Papes (la source des papes). Au cours des alternances glaciaires et interglaciaires du quaternaire, ce ruisseau a charrié énormément de matériaux venant du pied des Dentelles (matériaux locaux). Ce cône est contemporain de la terrasse de l’Ouvèze, ils ont tous deux 450 000 ans.

Dans le cône, 50-60% de sable et d’argile et 40-50% de petits éléments calcaires pas roulés du tout, puisque leur voyage n’a pas excédé 1,5 km. Il n’y a donc pas d’abrasion, les angles sont là, beaucoup moins polis que les galets que l’on trouve sur la terrasse de l’Ouvèze. C’est un terroir fabuleux, car l’abondance de sables et d’argile créée des conditions de rétention d’eau encore meilleure que sur les terrasses de l’Ouvèze. Il y a donc possibilité pendant l’été, d’une ascension capillaire de l’eau, du fait des matériaux fins. Plus les matériaux sont fins, plus l’ascension capillaire est forte. Alors la vigne ne souffre pas, et on obtient un raisin capable de donner des vins d’une extrême élégance : beaucoup de fruité, beaucoup de finesse tannique.

• Les éboulis calcaires

La conquête des Dentelles par les vignerons, c’est-à-dire du relief, est très tardive : elle est postérieure à la 2^nde Guerre Mondiale. Antérieurement, on craignait que le mûrissement du raisin soit entravé par l’altitude, et puis la difficulté d’établissement était aussi un obstacle.

Les vignerons s’installent dans les reliefs surtout sur les panneaux d’éboulis calcaires. En période glaciaire, les calcaires des Dentelles se sont fragmentés et ont fabriqué de grands panneaux d’éboulis.

Les vignes du relief ont pris une énorme importance, parce que là-haut, on peut se permettre de fabriquer des cuvées parcellaires, donc des cuvées terroir. C’est la tendance actuelle de fabriquer des vinifications parcellaires destinées à bien matérialiser et faire ressentir l’effet terroir.

En bas, le climat est très solaire, alors qu’en-haut, du fait des reliefs, on a des ombres portées qui privent les vignes – mais c’est une privation bénéfique – d’un certain nombre d’heures de soleil l’été. Les raisins connaissent donc un mûrissement beaucoup plus lent et intéressant. Les vins qui sont issus du côté nord des Dentelles, en altitude, ont toujours des qualités de fraîcheur et de finesse.

• Les sables de safres

La mer présente dans le bassin du sud de la France il y a 230 millions d’années a drainé une quantité de sable importante. Ici, on appelle ça les safres. Ce sont des grès dont la désagrégation mécanique donne des sables, qui se déposent au pied des reliefs. Il y en a à Châteauneuf-du-Pape aussi. Beaucoup de domaines, ont leur vigne établie sur les sables. Les vins de sable sont d’une grande élégance.

Plusieurs domaines ont des cuvées spécifiques sables de safres. Ils font une vinification parcellaire.

Sans oublier les affleurements du trias, présents principalement sur le flanc sud des Dentelles à Beaumes, à Lafare, et à Suzette. Et les marnes bleues du Crétacé.

Les avantages d’une visite

• Vous découvrez l’histoire du massif et de ses villages : je vous donne un aperçu général
• On découvre ensemble le lien entre géologie, terroir et saveurs
• Je vous donne les clefs de compréhension du patrimoine, qui contribue aussi à l’attachement des gens au massif des Dentelles.

Sources

• Rencontre avec Georges Truc, œnogéologue
• LIVINGSTONE-LEARMONTH John. Gigondas, ses vins, sa terre, ses hommes. Les Éditions du Bottin Gourmand et IG & AV. Organisme de défense et de Gestion Gigondas et Inter-Rhône.
• Famille Amadieu
• Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Vaucluse.Les Dentelles de Montmirail, Invitation à la flânerie. Avignon, 2002.