Je vous emmène en vadrouille ! Aux moulins

Je vous emmène en vadrouille ! Aux moulins

C’est une petite mise en bouche que je vous propose, de manière à vous donner envie d’en savoir davantage, sans pour autant vous livrer tout le contenu de ma conférence sur les Moulins du Comtat Venaissin ! Et comme ça, vous aurez aussi quelques points de repère dès que vous entendrez parler moulins.

« Lorsqu’il était enfant, Gargantua jetait des pierres pas moins grosses que les meules d’un moulin.

Après sa victoire sur Rince-Godets, Gargantua reçoit du roi Arthur, en présent, un petit moulin à vent en or massif, aux ailes en toile d’argent, ce qui le faisait rire : il décide alors qu’il veut être meunier.

Il fait marcher les moulins de Pievenan du souffle de ses narines.

Dans l’Allier, il met en panne le moulin sur le ruisseau de Villeneuve dont il boit toute l’eau de la réserve.

On sait qu’il meurt après avoir avalé, dans les Deux-Sèvres, un moulin à vent incendié, ce qui lui cause d’horribles brûlures d’estomac, dont il périt consumé.

Les meuniers invoquaient ou maudissaient Gargantua, selon qu’il soufflait bon vent ou que les rivières se tarissaient. »

Ce passage de Gargantua, écrit par Rabelais au XVe siècle nous montre en quelques lignes les enjeux auxquels étaient confrontés les meuniers.

Une invention très “écolo”

En fait, l’utilisation des moulins était limitée par les mêmes difficultés qu’ont aujourd’hui les énergies à caractère climatique : l’intermittence, l’aléa du temps, qui fait qu’on ne contrôle ni la force du vent, ni le débit de l’eau, qui feront tourner les roues et les meules du moulin.

Les romantiques voient justement dans les moulins les témoins de cette époque révolue, de développement durable sans en avoir conscience, puisque pour les faire fonctionner, on exploite déjà les énergies dites renouvelables, à savoir l’eau et le vent.

En fait, le moulin est une innovation majeure qui a occupé une place considérable dans la vie quotidienne de nos ancêtres jusqu’à la seconde révolution industrielle, à la fin du XIXe siècle, avec l’utilisation des énergies fossiles comme le charbon puis le pétrole. Ces énergies fossiles permettent alors de nouvelles inventions et détrôneront cette activité pluriséculaire des moulins.

S’il y a bien un sujet qui peut réconcilier littéraires et scientifiques, ce sont les moulins.

Pourquoi ?

Parce que le moulin est la première mécanisation de la force humaine, amplifiée. Mais aussi parce qu’il permet justement de se passer de la force humaine. C’est la première automatisation en somme, puisqu’il peut être actionné par la force animale, par l’eau ou par le vent.

Et parce qu’il a toujours suscité l’intérêt des poètes, des romanciers, et des lettrés, pour la vie sociale qui s’y déroule et les échanges qu’il suscite entre les villageois. Le moulin, c’est comme le lavoir ou le four, c’est le lieu des dernières nouvelles. Le dicton dit bien « Qui veut ouïr des nouvelles, au four et au moulin on en dit de belles ».

Alors quelles sont les caractéristiques de nos moulins provençaux ?

Le moulin à huile

La première caractéristique du moulin comtadin, c’est son implantation dans la zone méditerranéenne ; il est donc lié à la culture de l’olivier.

Jusqu’à la Révolution française, la date de la cueillette est strictement réglementée, on va même, par endroits, jusqu’à engager des gardes communaux pour surveiller les oliveraies la nuit. On interdit aussi l’ouverture des moulins jusqu’à la date fixée du début de cueillette.

Il faut garder en tête que sous l’Ancien régime, toutes les activités sont strictement encadrées par le seigneur ou par la communauté. Ils ont une sorte de monopole, le secteur privé tel qu’on le conçoit aujourd’hui n’existe pas. Donc toute création de moulin fait l’objet d’une autorisation délivrée par le seigneur.

Mais parlons plus en détail de la fabrication de l’huile d’olive, qui explique l’architecture et l’aménagement intérieur de nos moulins.

Première étape, le broyage. La meule mobile est verticale, et triture, écrase les olives sur la meule horizontale dite « gisante ». On parle de « moulin à sang » puisque la meule est actionnée à force d’homme, ou plus souvent par des animaux. Cette opération donne une pâte noire, grasse, onctueuse, on la dépose dans des scourtins, comme des tamis paniers.

C’est la deuxième étape, le pressage : on empile les scourtins les uns au-dessus des autres, on les place sous la presse, et l’huile s’en écoule dans « l’espérance », sorte de réceptacle, au sol. C’est la première pression à froid, qui donne l’huile de meilleure qualité. On effectue alors une deuxième pression après avoir versé une mesure d’eau bouillante sur les scourtins, pour en extraire une huile moins délicate.

Reste de ce broyat bien serré, le marc, que l’on conduit au moulin de la recense afin d’obtenir une huile d’une qualité bien inférieure, utilisée pour l’éclairage, la fabrication des savons, ou comme engrais.

/SCHEMA BROYAGE-PRESSAGE/

Le nombre de moulins n’a fait que croître au Moyen-Âge, jusqu’au XVIe siècle, puis stagnera jusqu’au XIXe. La révolution industrielle passe aussi par là, mais ce sont surtout les « catastrophes » naturelles qui ont anéanti une grande partie des oliveraies et découragé les cultivateurs. Le froid est le grand ennemi de l’olivier : températures basses pendant plusieurs jours, gel, mistral, ou encore dégel trop rapide… 1363, 1709, 1789, 1808 ou plus récemment 1956, ces millésimes sont restés dans nos archives, comme des hivers impardonnables pour les oliveraies.

Le moulin à farine

Il peut être à sang (actionné par la force humaine ou animale) comme le moulin à huile, ou bien hydraulique, ou encore à vent.

C’est Vitruve, architecte romain du Ier siècle av. JC, qui, le premier, théorisa les mécanismes du moulin hydraulique.

Je vous laisse aller voir au Chapitre V du livre X de son écrit, De l’architecture. En voici un petit passage : « On fait aussi dans les rivières des roues […]. Autour de la circonférence de ces roues sont fixées des aubes qui, en recevant l’impulsion du courant, donnent nécessairement à cette circonférence un mouvement de rotation, sans qu’il soit besoin d’hommes pour mettre en jeu les roues que la force seule du courant fait tourner. […] Ainsi les alichons du grand rouet qui termine l’essieu de la roue, s’engrenant avec ceux du petit qui est placé horizontalement, font tourner la meule au-dessus de laquelle est suspendue la trémie qui laisse tomber le blé entre les meules, où il est converti en farine par le même mouvement de rotation. »

Pour les « mécanos », vous pouvez aller jeter un œil au descriptif, c’est très instructif, mais pour les autres, Vitruve nous explique ici tout simplement, comment le moulin permet le passage d’une force verticale (roue à aubes) à une force horizontale (meule), au moyen d’un engrenage intermédiaire.

Les moulins de Barbegal, près de Fontvieille, ravitaillaient Arles en farine dans l’Antiquité. Il s’agirait de la plus importante meunerie hydraulique du monde romain, certainement utilisée du IIIe au Ve siècle. Un aqueduc captait les sources de Maussane et des Baux, une tranchée dans la colline (toujours visible) permettait à ces eaux d’alimenter un grand réservoir d’où partaient 2 canaux comprenant chacun 8 chutes d’eau successives, et donc 8 roues, sur une hauteur totale de 20 m, avec une inclinaison de pente de 30°. L’ensemble faisait 70 m de long sur 20 m de large.

Pour pallier les caprices des rivières, les moulins hydrauliques sont souvent installés sur une dérivation : on dévie une partie du cours d’eau en amont, c’est la prise d’eau. Une vanne, ou martelière, permet de contrôler le volume d’eau que l’on veut prendre à cette rivière. L’eau détournée s’écoule dans un canal d’amenée, que l’on appelle aussi béal. Le béal se termine par un bassin, contigu au moulin, la resclause, c’est une réserve d’eau.

Donc 3 options : soit l’eau de la rivière fait directement tourner la roue du moulin, soit c’est celle du canal d’amenée. Ou, troisième cas de figure, dans les profondeurs de la resclause, une petite conduite forcée donne de la vitesse à l’eau, la conduite mène à un niveau souterrain où l’eau fait tourner une roue horizontale. La roue est reliée à la meule à l’étage supérieur par un axe vertical. C’est un peu le même principe dans les centrales hydroélectriques.

Il existe donc 2 types de roues : il y a la roue verticale, que l’on imagine d’emblée quand on parle moulin, ce sont les roues de la rue des teinturiers à Avignon, ou du canal de l’Arquet à l’Isle-sur-Sorgue, entre autres.

Mais dans l’ensemble du bassin méditerranéen, la technique privilégiée pour la mouture des grains, c’est celle de la roue horizontale qui transmet le mouvement aux meules sans l’intermédiaire d’un engrenage. C’est plus simple, et plus économique.

Parlons maintenant des meules : il y a 2 meules, l’une mobile, reliée à la roue, et l’autre fixe. Entre les deux, il y a un petit écart d’1 mm environ. Le grain, par la force centrifuge et le peu d’espace, se râpe et devient farine.

Les meules en Vaucluse peuvent être monolithes en calcaire, ou bâties en carreaux. Pour les amateurs de randonnées ou de trail, près de l’oppidum des Courens, au-dessus de Beaumes-de-Venise, on voit une ancienne carrière de meules. En témoigne cette meule dont la taille est inachevée.

Fréquentes sont les petites querelles de voisinage entre meuniers et agriculteurs. Les procès peuvent aussi prendre des proportions plus importantes, et s’éterniser sur des décennies. Souvent, il est possible de suivre l’évolution des moulins grâce aux documents litigieux justement : par exemple, nombreuses sont les plaintes dénonçant les moulins à l’amont favorisés pour la prise d’eau par rapport aux moulins à l’aval.

Mais lorsqu’on parle moulin à farine, il faut aussi évidemment mentionner les moulins à vent. Création orientale, les moulins arrivent à Arles au XIIIe siècle via les Croisés, et se développent en Provence surtout à partir du XVIIIe siècle. Même si on pense immédiatement au moulin de Daudet, les moulins à vent sont peu nombreux en Provence : ils ne font pas le poids face à la multitude de moulins hydrauliques à roue horizontale. L’irrégularité et la brutalité du vent dans nos contrées y sont aussi pour quelque chose…

Le moulin industriel

La force de l’eau n’était pas utilisée uniquement pour moudre le grain ou écraser les olives, elle permet de transformer en poudre l’ocre et la racine de garance (pour l’obtention du pigment rouge), forger du cuivre, fouler de la laine, piler du plâtre, aiguiser des couteaux, filer la soie, piler de la pâte à papier…

Les moulins à foulon, pour préparer la laine, faisaient nombre : la région étant plutôt aride, on y a longtemps privilégié l’élevage de moutons, ce qui entraîna l’apparition de l’industrie lainière. La laine n’est pas exploitable immédiatement après la tonte. Il faut d’abord la fouler, c’est-à-dire la dégraisser : la laine était placée dans des cuves remplies d’eau et de terre glaise, frappée par des marteaux actionnés par la force hydraulique.

Mais finalement, vous vous demandez sans doute quelle est la différence entre un moulin hydraulique « classique » ou agricole et un moulin de type industriel. Dans un moulin industriel, le mouvement continu de la roue qui tourne est transformé en mouvement alternatif avec un temps fort et un temps faible. L’arbre à came, mis en rotation par la roue, soulève les maillets de façon alternative, qui retombent donc, de façon alternative, pour piler.

Où m’entendre parler de moulins ? 

• La conférence sur les moulins du Comtat Venaissin. Prochaine date : le lundi 27 mai 2019 à 15h à la MJC de Carpentras, pour l’Institut du Patrimoine comtadin. Entrée libre.
• Tout au long de la visite de l’Isle-sur-Sorgue, notamment sur le canal de l’Arquet.
• Au cours de la visite guidée du village du Barroux, où l’on passe par le moulin à huile de la commune, construit pendant la Révolution, lorsque le seigneur refusait l’accès de son moulin aux habitants. Toute la chaîne de production est encore bien visible.
• Lors de la visite de Caromb, on passe au niveau du moulin communal sous le beffroi, et de la rue des Moulins en bordure des remparts.
• Dans le moulin familial, à Caromb. Les originalités : un double moulin à farine, actionnés l’un par une roue horizontale, l’autre par une roue verticale et un engrenage. La cohabitation d’un moulin à huile et d’un moulin à farine.

Ce petit aperçu devrait apporter un peu d’eau à vos moulins et vous donner envie d’en savoir davantage !

Sources

GALLIAN, Jean. Histoire de Caromb, Tome I.

DURAND, Aline, 2012. Jeux d’eau. Moulins, meuniers et machines hydrauliques XIe-XXe siècles. Cahier d’Histoire des Techniques, Presses Universitaires de France.

ORSATELLI, Jean, 1979. Les moulins – Les moulins à vent, les moulins à eau. Editions Jeanne Laffitte.

PAZZIS, Maxime, 1808. Mémoire statistique sur le Département de Vaucluse. Imprimerie D.G. Quenin, Carpentras.

Les Cahiers de l’ASPPIV – Association pour la Sauvegarde et la Promotion du Patrimoine Industriel en Vaucluse.

Exposition Les Moulins, Service Culture & Patrimoine de la Cove.