Je vous emmène en vadrouille ! Sur la Sorgue

Aujourd’hui 1er avril : parlons poisson !

Afin de vous délivrer un contenu inédit, je suis allée à la pêche aux infos en rencontrant les pêcheurs de la Sorgue. Leurs explications et anecdotes valent de l’or, et on ne les trouve pas dans les livres !

L’or bleu de la Sorgue

La Sorgue

La Sorgue est source de travail, ainsi que de richesses vivrières et financières pour les hommes qui s’installent sur ses rives.

Mais d’où vient-elle et quelles sont ses caractéristiques ?

La Sorgue a toujours fasciné. Elle jaillit mystérieusement d’un gouffre que je vous recommande d’aller voir à Fontaine-de Vaucluse.

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L’exsurgence de la Sorgue à Fontaine-de-Vaucluse

Ce gouffre a intrigué les lettrés, savants, hommes de sciences, ingénieurs, géologues, et hydrologues qui ont cherché à en sonder la profondeur. Il a suscité de nombreuses explorations aux XIXe et XXe siècles.

Comme le montre cette coupe, les dernières recherches en 1985, ont atteint un palier sablonneux à 308m de profondeur, grâce à la descente d’un petit sous-marin très perfectionné, emprunté à la Société Méditerranéenne et Commerciale de Marseille.

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Profil du gouffre de Fontaine-de-Vaucluse et historique des recherches

Il s’agit d’une source karstique : un mot complexe pour désigner un immense plateau calcaire qui réceptionne les eaux de pluie. Par un réseau de galeries et d’avens, ces eaux de pluie alimentent le gouffre d’où s’échappe, en quantité variable, la Sorgue.

Elle s’écoule ensuite jusqu’à l’Ouvèze, qui se jette ensuite dans Rhône. La Sorgue a la particularité de garder une température comprise entre 11 et 13,5°C.

Des activités industrielles

La Sorgue borde de toutes parts l’île, qui donna son nom à la ville. Elle influença le mode de vie et les activités économiques des habitants. L’Isle est usuellement surnommée « la petite Venise comtadine ».

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La « petite Venise comtadine », le canal de l’Arquet - Copyright Anaëlle Gourlet

Depuis l’installation humaine sur les rives de la Sorgue, l’eau a été maîtrisée, comme source d’énergie. Les canaux traversant la ville sauront vous séduire, par le paysage qu’ils offrent et par le témoignage des multiples industries passées qui exploitaient le mouvement de l’eau comme force motrice. L’Isle-sur-Sorgue est riche aujourd’hui de 14 roues à aubes, contre 66 au total dans la ville au XIXe siècle.

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Rue des roues, glacées pendant l’hiver – Actuelle rue Théophile Jean

L’Isle-Sur-Sorgue et ses pêcheurs

Quelques privilèges…

Mais la Sorgue a d’abord été exploitée à l’état sauvage, pour la pêche. Quittons donc les canaux et les roues à aubes, pour aller à la rencontre des pêcheurs de L’Isle.

Où les trouvait-on ? Par le passé, ils habitaient dans le quartier Bouïgas, à l’est de la ville – pour preuve les noms des rues : rue de la truite, rue de l’écrevisse, rue de l’anguille… Ils se retrouvaient au bassin Bouïgas, nom provençal qui signifie remuer ou secouer car la Sorgue s’y sépare en plusieurs bras et l’eau n’y est pas tranquille. Les pêcheurs s’y retrouvaient comme dans un port ; c’était au bassin qu’ils devaient laisser leurs bateaux en période interdite de pêche.

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Le Bassin Bouïgas

Pourquoi les Islois ont-ils développé une telle tradition de la pêche ? On dit que depuis des temps immémoriaux, l’exclusivité de la pêche sur tout le cours de la Sorgue était réservée aux Islois. En réalité ce privilège n’est attesté qu’au XIIIe siècle, où le comte de Toulouse, propriétaire du Comtat Venaissin accorde aux Islois le droit de pêcher sur la Sorgue de l’exsurgence de Fontaine-de-Vaucluse jusqu’au Rhône. Ce privilège sera ensuite confirmé par les papes qui s’installent en Avignon. Et comme l’on mangeait du poisson au moins 150 jours dans l’année – en raison des interdits de viande pendant les jours de jeûne chrétiens) – en retour, les pêcheurs islois alimentaient les tables pontificales et ecclésiastiques gratuitement.

Au XVe siècle, une confrérie de pêcheurs est créée pour défendre la corporation et les conditions d’exercice du métier.

À la Révolution, la confrérie est dissoute et les privilèges disparaissent… Les pêcheurs avaient pour tradition d’élire un roi, ce qui n’était pas très bien vu durant l’épisode révolutionnaire !

Elle a été refondée en 1977, sous forme d’Association des Pescaïre Lilen, dont j’ai rencontré quelques protagonistes.

La pêche d’antan

En redonnant naissance à la confrérie des pêcheurs de L’Isle, en 1977, est alors organisée La Pêche d’Antan, chaque troisième dimanche de juillet.

À cette occasion, les pêcheurs montent à bord de leur nego-chin, pour effectuer une démonstration de pêche. Ils sont vêtus de l’habit traditionnel et utilisent les instruments retrouvés dans les greniers ou remis aux plus anciens par les pêcheurs de la génération précédente.

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La Pêche d’Antan

Pendant ce temps, les bugadières (les lavandières provençales) lavent leur linge le long du quai Jean Jaurès.

Les pêcheurs se rendent ensuite à la collégiale Notre-Dame des Anges en procession, pour recevoir la bénédiction de Notre-Dame de Sorguette, sainte patronne des pêcheurs islois, puis distribuent les poissons aux passants.

Le matériel

Le bateau

Pour naviguer sur la Sorgue et ramener son butin, le pêcheur utilise une barque à fond plat. Les puristes préfèrent parler de bateau, comme on l’appelait auparavant, mais aujourd’hui, on leur a donné le nom de « nego-chin » qui vient lui aussi du provençal, c’est une appellation d’origine camarguaise, importée à L’Isle-sur-Sorgue. Cela signifie « noie-chiens » littéralement, puisque c’est un bateau difficile à stabiliser et que les pêcheurs qui emmenaient leur chien risquaient sans cesse de le faire tomber à l’eau.

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Le négo-chin

La fabrication du nego-chin sera peut-être l’occasion d’un prochain article, avec la participation d’Alain Pretot, fabricant de bateaux et membre des Pescaïre Lilen. Il est intarissable… et passionnant !

Les outils de pêche

C’est là que les choses se corsent…

Les pêcheurs utilisent donc des outils proscrits aujourd’hui, dont l’usage est toléré par la préfecture pour la Pêche d’Antan.

Au Partage des eaux, dans le cabanon des Pescaïre Lilen, on peut avoir un aperçu de tous ces instruments traditionnels. Avis aux spécialistes !

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Le ponton du Cabanon au Partage des eaux

Le bout du jardin donne sur la rivière et le cadre est superbe par ce beau soleil. Mais les outils de pêche retiennent mon attention :

  • L’araignée : filet de 12m de long placé dans le lit de la Sorgue dans le sens du courant, à la tombée de la nuit. Les truites se font prendre dans le filet que l’on vient lever le lendemain matin.
  • L’épervier : filet rond dont le bord est garni d’un chapelet de balles de plomb. Relié au poignet du pêcheur par une corde, on le jette à la main d’un mouvement circulaire.
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La pêche à l’épervier – Copyright La Provence

  • Le trident à sept branches (aussi appelé fichouiro en provençal) : fixé à un long manche, il permet de pêcher à distance, mais n’est pas plébiscité par les pêcheurs car l’instrument abîme le poisson et baisse sa valeur à la vente.
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Le fichouiro

  • L’aragnol : filet en forme de poche allongée, monté sur une armature métallique. Le pêcheur se sert de l’aragnol pour coiffer les touffes d’herbes au fond de la rivière, dans lesquelles se cachent les truites.
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L’aragnol

  • Le fagot : à l’époque où les écrevisses peuplaient encore la Sorgue, on plaçait une tête d’agneau dans un fagot de sarments de vigne que l’on immergeait à la tombée de la nuit pour les attirer. Pendant la nuit, les écrevisses se nichaient toutes à l’intérieur du fagot.
  • La bouteille à vairons : elle est placée dans le fond de la rivière. Grâce à son culot en forme d’entonnoir, dès qu’un poisson rentre, il lui est impossible de ressortir. La bouteille à vairons sert à attraper de petits poissons.
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La bouteille à vairons

Mais justement, que pêche-t-on dans la Sorgue ? Des écrevisses jusqu’au XIXe siècle, où elles disparaissent subitement en raison d’une épidémie. La truite, l’anguille, le vairon et l’ombre commun (à ne surtout pas confondre avec l’omble chevalier, présent dans les lacs). 

Je vous invite donc à venir découvrir les festivités traditionnelles de L’Isle-sur-Sorgue, tout l’été, en particulier la Pêche d’Antan. Ou hors saison, pour profiter du cadre enchanteur du gouffre de Fontaine-de-Vaucluse, du Partage des eaux et du joli centre de L’Isle.

Les bons restaurants ne manquent pas, mais au vu du cadre les prix sont plus élevés qu’ailleurs, et parfois la qualité décevante. Je vous recommande en particulier le restaurant Les Terrasses by David et Louisa, avec vue sur le bassin.

Les chineurs pourront aussi profiter des antiquaires, puisqu’il s’agit du troisième centre européen. Et d’ailleurs, vous pourrez passer chez l’antiquaire de l’hôtel Dongier, qui était au XIXe siècle le restaurant que les touristes ne manquaient pas, puisqu’on y dégustait la meilleure recette d’écrevisses de la ville.

Les avantages d’une visite

  • Découvrez le passé artisanal et industriel de la ville
  • Ne passez pas à côté des roues à aubes du canal de l’Arquet, du bassin Bouïgas, et de l’incontournable collégiale baroque.
  • Bénéficiez d’un petit aperçu littéraire des légendes et traditions qui se sont racontées de tous temps sur la Sorgue
  • Pour les groupes qui le souhaitent, la visite de L’Isle-sur-Sorgue peut être assortie d’un passage au Cabanon des pêcheurs pour voir les outils utilisés et pique-niquer devant le cabanon, sur le bord de la Sorgue.

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Sources

GUIGUE Julien, Les pêcheurs de L’Isle sur Sorgue. Ventabren, Impression Rouyat, 1977

CECCARELLI Albert, L’histoire de L’Isle-sur-la-Sorgue. 4 tomes, Editions Scriba

Fontaine de Vaucluse – Histoire de la Fontaine. Nouvelles Editions AIO, 2014

Association Pescaïre Lilen : Alain Pretot, Sauveur Romano, Jean-Louis Borel

GALLIAN Jean, Histoire de Caromb, Tome II. http://jean.gallian.free.fr/carb2/html-new/speleologie.htm

PAULAIS, Jean-Pierre, « Les pêcheurs de la confrérie de l’Isle continuent la tradition ». La Provence, 18.07.2017

INSULA, Le patrimoine de L’Isle-sur-la-Sorgue. http://www.patrimoine.islesurlasorgue.fr