Je vous emmène en vadrouille ! À l’Abbaye de Sénanque

Il est encore temps de prendre de bonnes résolutions pour l’année à venir ! J’ai décidé de prendre ma plume pour vous parler de la Provence que j’affectionne tant.

Comment ? En vous proposant un petit article qui vous donne envie, avec des photos, et quelques infos croustillantes, parfois de l’actualité culturelle. Monument, peinture, site naturel, tout y passera, des lieux les plus fréquentés aux pépites insoupçonnées !

Quand ? Chaque premier jour du mois.

Où ? Sur la page Blog de La P’tite Vadrouille, à retrouver via ma page Facebook et mon compte Instagram.

Aujourd’hui : 1er mars, j’aimerais vous parler d’un lieu incontournable lorsqu’on évoque la Provence, et qui fait la « une » de l’actualité patrimoniale.

L’Abbaye de Sénanque est un joyau de l’art roman, elle forme avec Le Thoronet (dans le Var, près de Brignoles) et Silvacane (dans les Bouches-du-Rhône à côté de la Roque d’Anthéron) le club des « 3 sœurs provençales » : les 3 abbayes romanes cisterciennes de la Provence.

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L’Abbaye, dans le vallon de la Sénancole

Bref historique

La Fondation

En 1148, 12 moines arrivent d’Ardèche, pour fonder une Abbaye cistercienne dans le vallon de la Sénancole, à proximité de Gordes, dans le massif des Monts de Vaucluse. La Sénancole, qu’es aquò ? Il s’agit de la petite rivière qui irrigue le vallon, et dont le cours a changé depuis les tremblements de terre de 1897 et de 1909 à Lambesc. Mais l’eau avait également une portée symbolique pour les moines, et l’on retrouve dans les écrits de saint Bernard, un jeu de mot récurrent sur l’humidité et l’humilité ! L’humilité doit être la vertu maîtresse du moine, et c’est au fond des vallées, disait-il, que se trouvent les terres les plus grasses, celles qui sont les plus favorables à l’accroissement des vertus. Je n’irai pas contredire saint Bernard, mais selon moi, les hauteurs des montagnes sont aussi un terrain favorable 😉

Outre cette plaisante histoire, le vallon était idéal pour l’implantation d’un monastère : boisé, solitaire, il offrait des ressources importantes telles que de la pierre à bâtir, de la chaux et du minerai de fer.

L’âge d’or

Dès sa fondation, le monastère était soutenu par les seigneurs locaux, et la communauté attirait les dons, notamment fonciers. Tant et si bien que le monastère avait des biens éparpillés dans toute la région, du sud du Dauphiné, jusqu’à Arles et Marseille.

La fin du XIIIe siècle marque l’apogée de l’expansion territoriale du monastère, et le XIVe siècle, fut son « Grand Siècle », époque des Papes en Avignon, dont le rayonnement rejaillit certainement sur Sénanque, moyennant quelques ingérences pontificales…

Les difficultés

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, au cours des Guerres de religion, les Protestants saccagent partiellement les bâtiments, incendient les biens et les archives.

Le monastère a du mal à s’en relever, et à la veille de la Révolution française, les moines désertent. Le bâtiment est alors vendu comme Bien national à la Révolution, mais accueille à nouveau des religieux au XIXe siècle. Il est remis en vente au moment de la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905. Personne ne se porte acquéreur, et en 1926, l’Abbaye de Lérins située au large de Cannes, renvoie des moines à Sénanque… rappelés à Lérins en 1969. La vie monastique reprend ensuite son cours dans l’Abbaye en 1988, 6 moines de Lérins reviennent s’installer. Ils sont actuellement 7 moines.

Quelques notions sur l’ordre cistercien

Mais qui sont ces moines cisterciens ?

On ne peut comprendre l’Abbaye de Sénanque sans se pencher sur la spiritualité des personnes qui l’ont fondée. L’ordre cistercien est initié au XIIe siècle par saint Bernard de Clairvaux, moine bénédictin.

Les moines cisterciens entendent retourner à la source de la règle de saint Benoît écrite au VIe siècle (basée sur le travail et la prière, selon leur maxime « Ora et Labora »). Ils dénoncent l’enrichissement de l’Ordre bénédictin et saint Bernard est la figure de proue d’un retour à la sobriété. Leur journée est tournée vers le travail manuel, essentiellement agricole, ponctuée de 7 offices depuis le milieu de la nuit, jusqu’au soir.

L’architecture cistercienne

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Plan cavalier de l’Abbaye de Sénanque

Très épurées, les abbayes cisterciennes se caractérisent par une grande austérité. Pour les cisterciens, le grand art est la nudité. On ne peut d’ailleurs pas vraiment parler d’« art cistercien » puisqu’il n’y avait pas de recherche d’esthétique par les moines, simplement des bâtiments les plus fonctionnels possibles.

À Sénanque, la rigueur semble cependant tempérée dans le cloître, véritable jardin d’Éden, où les quarante-huit petites arcades retombent sur des chapiteaux ouvragés.

Petite variante à noter également : la voûte de la salle du chapitre est postérieure (XIV-XVe siècle), et présente des croisées d’ogive, plus proche du style gothique.

Les détails caractéristiques des abbatiales cisterciennes (vous serez désormais incollables !) :

  • Dans l’abbatiale, les absidioles du chœur ne dépassent pas à l’extérieur, elles sont incluses dans un mur plat.
  • Les frères convers (qui aidaient les moines dans le travail agricole notamment) étaient séparés, aussi bien dans l’abbatiale, au fond, que dans des dortoirs différents.
  • Le dortoir est proche de l’abbatiale, pour les offices nocturnes.
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Le cloître

Sénanque aujourd’hui

La vie monastique actuelle

Aujourd’hui, les moines vivent principalement dans l’aile XIXe que vous pouvez voir à l’arrière (au sud-ouest), quand vous faites le tour du monastère.

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L’aile XIXe, actuellement habitée par les moines

La journée d’un moine actuel paraît sans doute bien différente de celle des Cisterciens du XIIe siècle, mais l’orientation profonde d’une vie totalement consacrée à Dieu reste la même, ainsi que l’importance donnée à la prière et au travail.

Aujourd’hui, il n’y a plus deux « sortes » de moines comme au Moyen-Âge, choristes et convers (attachés aux travaux agricoles et manuels) ; désormais chaque moine vit la même vie de prière, et de travail manuel et intellectuel.

La vie des moines est toujours rythmée par 7 offices quotidiens, avec un lever à 4h10. Mais un coucher un peu plus tôt que le nôtre, après l’office des complies, que l’on chante à 20h15.

Pour saint Benoît, « Ils seront vraiment moines s’ils vivent du travail de leurs mains ». Aujourd’hui, les monastères ne vivent plus en autarcie, mais les moines continuent à travailler quotidiennement. À Sénanque, ils ont deux sortes d’activités : l’agriculture (lavande, miel, forêt) et l’accueil des visiteurs, le tourisme (visites, librairie-boutique, restauration et entretien du bâti). La lavande ? C’est aussi ce qui fait la renommée de l’Abbaye. Depuis les années 1960, le lavandin est cultivé à Sénanque, puis distillé de façon artisanale pour se retrouver dans les savons, parfums et produits dérivés du monastère.

Le travail intellectuel et la formation théologique se poursuivent aussi tout au long de la vie du moine. En principe, chaque moine doit être polyvalent.

Aujourd’hui, les moines s’activent pour trouver urgemment les financements nécessaires à l’entretien du lieu, dont l’état est inquiétant.

Un patrimoine en péril

L’église abbatiale est actuellement inaccessible au public ; plus précisément la nef (les visites donnent toujours accès au transept).

Que se passe-t-il ? Les murs ouest et est sont en dévers, ils s’écartent progressivement par le haut. Des fissures sont apparues sur la voûte romane de la nef.

Il faut donc consolider et soutenir le mur Est à l’aide de cinq nouveaux contreforts, et faire des injections de fibre de verre pour reconnecter les façades pignons au reste.

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Les cinq contreforts de consolidation du mur est

La somme du chantier s’élève à 2 millions d’euros et si vous vous sentez l’âme généreuse envers ce site pluriséculaire, voici le lien du financement participatif : https://dartagnans.fr/fr/projects/senanque-une-abbaye-en-peril/campaign

Les avantages d’une visite

En suivant une visite de l’Abbaye, vous accédez à l’intérieur du monastère. Les explications vous permettent de :

  • Découvrir la vie des moines à l’époque médiévale
  • Comprendre le style roman et l’architecture cistercienne
  • Cerner les grandes lignes de l’histoire monastique
  • Faire une petite expérience d’éternité … et de déconnexion, les téléphones ne captent pas bien dans l’Abbaye !

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Et comme une sortie réussie, c’est une visite assortie, la boutique ravira les papilles des gourmands, et les alentours de l’Abbaye feront la joie des randonneurs, traileurs, VTTistes… Les Monts de Vaucluse sont un lieu de randonnée idéal, vous pourrez vous balader le long de la Sénancole, et des vallons de Ferrière et de Châteauneuf.

Sources

Abbaye Notre-Dame de Sénanque. Rennes : Editions Ouest-France, 2012.

TURGEON, Laurier. Le patrimoine religieux du Québec : entre le cultuel et le culturel. Canada : Les Presses de l’Université de Laval, 2005.

« L’Abbaye de Sénanque est en péril ! ». Blog Patrimoine-Environnement, 09.01.2019.

BONNEFOY Coralie, « L’Appel à l’aide de l’Abbaye de Sénanque ». La Croix, 25.02.2019.

RINQUIN Pierre-Yves, « Abbaye de Sénanque : SOS, patrimoine en danger ! ». FigaroVox, 12/11/2018.

Guide de visite de l’Abbaye

Infos pratiques

http://luberon.fr/tourisme/les-sites-touristiques/monuments/annu+abbaye-notre-dame-de-senanque+1700.html